« Malades de sport » ou quels peuvent être les effets de l’activité physique dans le traitement des cancers ?
Léa Dall’Aglio et Vincent Guerrier sont journalistes et sportifs. Suite au cancer de Vincent, ils ont enquêté sur la place encore restreinte faite à l’activité physique dans le traitement des cancers, en France, et font paraître un livre.
« Vincent (Guerrier) est cycliste depuis qu’il est tout jeune » commence Léa Dall’Aglio, sa compagne. Puis l’intéressé déroule cette histoire classique : le vélo oublié à la cave, qu’on sauve de la poussière, dont on soigne les pneus crevés, et dont l’enfant s’éprend. Le Tour à la télé qui exacerbe au fil des ans le désir de rouler, l’adolescent qui signe sa première licence FFC et qui se lance en compétition. Ajoutez à cela un patronyme qui sonne comme l’idéal éthique de tout coureur cycliste, et vous comprendrez que Vincent Guerrier, désormais plus attiré par l’idée d’un voyage à vélo avec Léa que par les courses de clocher, se voit d’abord comme un compétiteur.
Chimiothérapie et marathon
Au printemps 2016, il participe avec ses copains au Paris-Roubaix Challenge puis, en juin à l’Ardéchoise. Mais bientôt, la chaleur de ce début d’été l’écrase et, à travers elle, une énorme fatigue, avec sa cohorte de malaises : démangeaisons, suées et, surtout, difficultés respiratoires. Consultation médicale, imagerie, le diagnostic, tombe fin juillet : à 23 ans, il souffre d’un lymphome de Hodgkin, un cancer du système lymphatique.
La maladie de Hodgkin touche surtout la tranche d’âge des 18-35 ans, et désormais le pronostic de guérison est bon. « Je ne me suis jamais senti en danger de mort imminente, je savais que j’allais passer une sale année, mais je pouvais me projeter », explique Vincent. Néanmoins, le poids du mot »cancer » est considérable. « Quand il a su que c’était un cancer, reprend Léa, il a d’abord cessé toute activité sportive. Mais c’était plus sous l’effet de l’inquiétude des proches et des a priori liés à la maladie. En pareil cas, tout le monde vous enjoint de vous reposer. »
C’est lorsque se met en place le protocole thérapeutique, associant chimiothérapie et rayons, qu’un avertissement maladroit le bouleverse. Il raconte : « La tumeur étant située au niveau du médiastin, entre les poumons, les rayons risquaient de brûler aussi des cellules pulmonaires et de diminuer ma capacité respiratoire. Et là, pour me rassurer tant bien que mal, le médecin ajoute « Vous vivrez très bien avec ça au quotidien, mais bon, vous ne ferez pas de marathon. » »
« Vincent m’a appelée tout de suite en sortant, poursuit Léa. Il était déboussolé par cette annonce et, moi, spontanément, je lui ai dit : « Ne t’en fais, on va courir ensemble, tout doucement, comme on pourra et, même si ça doit prendre dix ans, tu le feras, ce marathon. » »
Dont acte. Le couple commence à courir entre les séances de chimio. Non seulement Vincent fait le constat qu’il n’éprouve pas de douleur, mais il constate que plus il court mieux il se sent. L’exercice n’accentue pas le sentiment de fatigue, il le dissipe. En mai 2017, deux mois et demi après l’arrêt des soins, Vincent boucle son premier marathon.
L’activité physique : des bienfaits réels mais méconnus
Par ailleurs, étonnés de constater que les choses se passent à l’inverse de ce qui était attendu, Léa et Vincent, tous deux journalistes, se sont mis à enquêter. « On a trouvé assez facilement des témoignages, mais qui n’allaient pas en profondeur, explique Vincent. Et puis des articles. On s’est aperçu qu’il existait une série d’études remontant aux années 80, qui montraient l’effet bénéfique considérable de l’exercice physique, non seulement sur la fatigue liée aux traitements, mais sur l’évolution même des cancers. On ne parle pas de « bénéfice moral » mais d’effets réels, mesurables. Adaptée, l’activité physique améliore le pronostic de rémission, et fait chuter le taux de récidive. Aujourd’hui ces effets sont d’autant mieux documentés qu’elles concernent les cancers ayant le plus d’incidences : sein, prostate, endomètre, côlon. Et pourtant, il n’y avait personne pour m’orienter. Nous sommes revenus vers l’oncologue avec nos premiers résultats. D’abord sceptique, il s’est renseigné de son côté et a découvert l’existence de nombreux réseaux et structures intégrant l’APA (activité physique adaptée) au titre des soins de supports. »
Surpris qu’une information si cruciale soit si mal connue, et soucieux de partager leurs découvertes, Léa et Vincent décident de tourner un documentaire : ce sera « Malades de sport » (visible encore jusqu’au 12 novembre sur FranceTV – dans la case « La France en vrai »). Depuis le film s’est doublé d’un livre éponyme, paru ces jours-ci aux Éditions du Faubourg.
Pourquoi les APA sont-elles si peu entrées dans les moeurs, alors que la loi du 26 janvier 2016 autorise les médecins généralistes à prescrire cette « activité physique adaptée » aux patients atteints d’ALD (affection de longue durée) – lesquels représentent pas moins de 11 millions de personnes, soit 1 Français sur 6 ! Pourquoi les frais échéants sont-ils encore à la seule charge du patient, ignorés de la Sécurité Sociale, presque dix ans après que la Haute Autorité de Santé a reconnu lesdites APA au rang des « thérapies non médicamenteuses », et alors qu’une étude de 2018 commandée par le ministère des Sports estime à 17 milliards d’euros le coût de la sédentarité ?
Les maisons sport-santé, les structures labellisées par l’État, sont de plus en plus nombreuses, comme les réseaux, tels la CAMI sport & cancer, ou les réseaux régionaux soutenus par les ARS (par exemple : onconormandie), mais les médecins les connaissent peu. « Il manque un référentiel général, un annuaire, regrettent-ils. Jusqu’à maintenant, les APA sont quasi-absentes des études de médecine – les épreuves classantes de 6e année ne comprennent aucune question à ce sujet. Il existe une spécialisation APA-S dans les cursus en STAPS, qui seule habilite sérieusement à encadrer des malades. D’évidence, il manque des relais entre les milieux du sport et de la santé. Les fédérations sportives, qui voient souvent baisser le nombre de leurs licenciés, sensibilisent leurs entraîneurs à travers des formations « coach-santé » : c’est insuffisant, voire dangereux. Accompagner des gens atteints d’un cancer réclame des compétences solides. »
Au-delà d’économies considérables, c’est toute une éthique de l’activité physique qui est en jeu, qui recoupe en partie mais qui excède sans doute le strict champ du « sport ».
Source : L’Équipe – https://www.lequipe.fr